La Seiche fut créée au printemps 2009 par un groupe de 7 étudiants en lettres et sciences humaines réunis par Amina Damerdji et Marius Loris. C’était l’époque de la lutte contre la loi LRU (relative aux libertés et responsabilité des Universités), lutte dans laquelle s’étaient intensément engagés les membres du groupe et dernière grande mobilisation universitaire, soldée par un échec. Il s’agissait alors de prolonger l’expérience militante dans une pratique d’écriture collective, d’allier littérature et engagement, conformément aux aspirations et aux pratiques des membres du groupe. Il fallait que quelque chose reste, perdure et se crée. C’était aussi le point de départ d’une réflexion qui traverse toute l’histoire de La Seiche concernant le peu de poids accordé au monde sensible dans les milieux d’extrême-gauche. A l’issue d’une très longue et très animée première réunion on choisit un nom, la Seiche, animal tentaculaire qui possède sa propre encre. Ce même animal que Breton et Soupault avaient utilisé dans Les Champs magnétiques comme symbole du pouvoir transformateur de l’écriture : « La seiche jette son liquide huileux et la mer change de couleur. » Le premier numéro réunissait ainsi des textes d’opinion, de critique artistique, sociale, politique et des poèmes. L’échec définitif de la lutte contre la LRU, la dispersion des parcours et le suicide de deux des membres du groupe a imposé un silence de plus de deux ans.
À la fin de l’année 2011, quatre membres (Amina Damerdji, Olivier Liron, Marius Loris et alius) ont décidé de reprendre le projet. La revue s’est alors organisée plus explicitement autour de deux pôles : un pôle de création littéraire (la rubrique « friches ») mêlant nouvelles, traductions et poèmes inédits et un pôle analytique, mêlant des textes de critique sociale puisant à diverses sources disciplinaires (les « mèches »). Les numéros 2, 3, 4 et 5 verraient ainsi le jour entre le mois de février 2012 et le mois d’octobre 2013, chacun titré d’une image qui oriente le choix des textes. Le numéro deux s’intitulait « courants chauds / courants froids » inspiré par la réflexion de Michael Löwy sur la pensée d’Ernst Bloch qui cherche à allier au courant froid du marxisme un courant chaud (artistique et sensible) nécessaire au projet révolutionnaire. Le troisième numéro intitulé « couleur cannibale » développe des réflexions sur la race et la pensée décoloniale. Le quatrième, « Bris et débris » s’intéresse à l’esthétique de la ruine et au thème de la destruction tel qu’il apparaît chez Marx, en passant par les luddites. « Folk », le cinquième et le dernier numéro de cette seconde époque de La Seiche, questionne la notion de « peuple » et de « popularité » dans la pensée politique, épistémologique, pédagogique et dans l’univers littéraire et poétique. Au fil des numéros et des soirées de lecture et exposition organisées à leur parution, La Seiche a considérablement élargi sa popularité et son cercle de contributeurs, recevant par courrier de plus en plus de propositions tant pour les « mèches » que pour les « friches » qui rassemblaient alors de jeunes auteurs qui publiaient dans d’autres revues littéraires. Toutefois, la partie littéraire n’accédait pas à la cohérence de la partie essayiste, à la fois parce que l’image inaugurale y était moins directement opérante mais aussi à cause de divergences au sein du groupe qui empêchaient une ligne littéraire éditoriale claire.
Le sixième numéro paru en octobre 2014 inaugurait alors une nouvelle et troisième époque de La Seiche dirigée désormais par Amina Damerdji et Marius Loris. La Seiche est aujourd’hui une revue de poésie dont l’objectif est de décliver le champ poétique parfois caricaturalement scindé entre poésie écrite et poésie orale, poésie lyrique et poésie anti-lyrique, poésie scripturale et poésie visuelle. Elle réunit une nouvelle équipe de collaborateurs, dont Justin Delareux, animateur de la revue Pli, écrivain et plasticien, qui s’est chargé de la maquette de cette nouvelle Seiche. L’engagement politique des auteurs publiés ne se manifeste pas toujours directement dans les textes mais transparaît également à travers une série de collages critiques. Les 9 poètes de ce sixième numéro ont entre 20 et 70 ans et s’inscrivent dans des traditions poétiques différentes. Ces textes sont emblématiques des différents recours du poème aujourd’hui (visuel, versifié, oralisé, fragmenté) qui servent, dans ce numéro, une écriture qui ne se retire pas du monde, refuse le déni du sensible et n’abandonne pas son pouvoir critique. Ces 9 auteurs sont Edith Azam, Julien Blaine, Victor Blanc, Amina Damerdji, Franck Delorieux, Christophe Esnault, Lionel Jung-Allegret, Marius Loris et Charles Pennequin.
Les deux animateurs de la revue, Amina Damerdji et Marius Loris ont 27 ans et développent un rapport dialectique entre parole écrite et parole dite, l’une interrogeant l’autre. Ils participent à d’autres revues de poésie (Pli, Assaut, Triages, Paysages Ecrits, Tapin2…). Marius s’intéresse, dans sa thèse d’histoire coloniale sur l’Algérie, à la question politique et sociale de l’autorité. Il a fondé récemment avec Adrien B-R un collectif nommé « réalisme à deux vitesses » réunissant des musiciens et des poètes tournés vers des pratiques expérimentales et en particulier la performance. Amina s’intéresse au rapport entre poésie et engagement, à travers sa thèse sur la poésie révolutionnaire cubaine et dans sa pratique littéraire. Son premier livre, Tambour-Machine paraît en juin 2015 aux éditions Plaine Page.
Le septième numéro de La Seiche, 2e de cette nouvelle série, devrait paraître à la fin de l’année 2015.