Un entretien avec Philippe Lejeune, directeur de La Faute à Rousseau. Propos recueillis par Laurence Santantonios.
Philippe Lejeune, « le pape de l’autobiographie », comme on l’appelle souvent, voue sa vie, ses recherches et ses écrits à l’autobiographie « ordinaire » et à l’écriture de soi. Non content de publier une dizaine de livres sur le sujet – dont Le Pacte autobiographique (Seuil) ou Le Moi des demoiselles (Seuil) – il est passé à l’acte, si l’on peut dire, en créant en 1992 l’Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique (APA) qui compte aujourd’hui plus de 500 adhérents. Vitrine et lieu de réflexions de l’APA : La Faute à Rousseau, revue trimestrielle qui paraît depuis 22 ans.
L’association, dont le siège et les collections sont à la Grenette, médiathèque d’Ambérieu-en Bugey, près de Lyon, accueille tous les écrits autobiographiques inédits qui lui sont envoyés (environ 3 000 à ce jour) afin de constituer un fonds consacré au patrimoine des écrits personnels (Mémoires, journal intime, récit, roman autobiographique, autofiction, recherche universitaire sur le genre autobiographique…). Selon la volonté des déposants, les manuscrits peuvent être consultés ou gardés secrets pendant une durée allant jusqu’à 50 ans. Chaque document est archivé, fait l’objet d’un échange de correspondance, d’une ou plusieurs lectures, et d’un compte rendu détaillé dans une publication annuelle, le Garde-mémoire. La salle de la Grenette où l’on peut consulter les manuscrits est régulièrement visitée par des chercheurs, historiens, sociologues, amateurs de l’écriture de soi.
Chaque numéro de la revue de l’APA, La Faute à Rousseau,Revue de l’autobiographie, est organisé autour d’une thématique (le récit de rêve, la mémoire des lieux, censures et autocensures, l’oubli, masculin/féminin, etc.). Outre des nouvelles internes de l’association, la revue propose une réflexion sur tout ce qui touche au phénomène autobiographique ainsi que des chroniques sur des livres récemment parus.
Philippe Lejeune, comment est née La Faute à Rousseau ? et pourquoi ce titre ?
L’association créée en 1992 avait deux objectifs : rassembler des textes (trouver un lieu où conserver les écrits personnels ordinaires), rassembler des personnes (les amateurs de l’expression autobiographique). Pour les textes, une bibliothèque s’est généreusement proposée, à Ambérieu-en-Bugey. Pour les personnes, il fallait créer, en plus des rencontres qu’on organiserait ici ou là, un lieu périodique et permanent d’expression et d’échange : c’est à quoi sert une revue. Notre numéro zéro, photocopié, avait pour titre Pour l’autobiographie. C’était clair, mais plat. Notre ami Philippe Artières a proposé La Faute à Rousseau. Adopté ! C’est une allusion à la chanson de Gavroche dans les Misérables, et ça veut dire, bien sûr, que l’autobiographie c’est la faute à Rousseau, à cause des Confessions. Double clin d’œil, qui peut égarer. On nous prend parfois pour une revue « dix-huitièmiste ». Au Salon de la revue on nous met à côté de Voltaire. Notre sous-titre était plus clair, « Revue de l’Association, etc…. », mais il faisait un peu bulletin paroissial. A tort ou à raison, nous aimons notre titre. Depuis le dernier numéro, nous avons donc simplement ajusté le tir en élargissant le sous-titre : nous sommes désormais la « Revue de l’autobiographie ».
Comment s’organise la rédaction de chaque numéro ? Quels sont les contributeurs de la revue ?
Nous paraissons trois fois l’an, en février, juin et octobre. Pour chaque numéro nous avons deux réunions, une de « programmation », puis, trois mois après, une de « réalisation ». Le comité de rédaction comprend quatorze personnes. Ce sont elles qui écrivent une bonne partie des articles. Mais en même temps, selon les thèmes, nous sollicitons d’autres personnes de l’association, et des écrivains, auteurs ou spécialistes du sujet. Et puis nous accueillons des « contributions spontanées », le plus souvent autobiographiques, de membres de l’association inspirés par le thème. Les articles sont toujours brefs, une ou deux pages au maximum, et se répartissent entre premier degré (textes autobiographiques) et second degré (discours critique, lectures, information). Nous tenons beaucoup à ce mélange, la revue est à la fois un atelier d’écriture et un lieu de réflexion. De même nous essayons d’articuler la revue avec le site de l’APA, où un espace est ouvert aux contributions spontanées pour les notes de lectures ou de spectacles (rubrique « nous avons lu, nous avons vu »).
Quel rôle joue La Faute à Rousseau à l’intérieur de l’APA ?
Un rôle fédérateur : les membres de l’Association sont répartis dans toute la France (et à l’étranger), le plus souvent ils ne peuvent pas participer aux événements (tables rondes, « Matinée du journal », Journées de l’autobiographie) qui sont organisés à Paris, à Ambérieu ou dans telle ou telle autre ville. En même temps La Faute à Rousseau est une ouverture sur la culture contemporaine (écrite, graphique, filmique) qui fait de plus en plus de place à l’expression du moi. Chaque numéro de notre revue comporte une quarantaine d’articles liés au thème de son dossier ou branchés sur l’actualité. Nous venons de publier notre numéro 67. Cela fait plus de 2 000 articles. La collection de La Faute à Rousseau constitue une vraie encyclopédie des écritures du moi et des récits de vie. Parmi nos projets, celui de dresser un index qui en facilitera la consultation.
Combien avez-vous d’abonnés, et qui sont-ils ? Des « Apaïstes » en majorité ? Quelle réception a-t-elle en dehors de l’APA ? La trouve-t-on en librairie, en bibliothèque ?
Nous avons actuellement environ 550 abonnés : l’abonnement est proposé en même temps que l’adhésion à l’APA et va souvent de pair. Mais on peut s’abonner sans adhérer, c’est ce que font un certain nombre de bibliothèques. La diffusion en librairie existe mais elle reste limitée, elle exige de nous un suivi souvent sans rapport avec le résultat. Nous envisageons dans l’avenir d’installer sur notre site un système de paiement en ligne qui rendra facile la commande directe de nos différentes publicatiosn : La Faute à Rousseau, bien sûr, mais aussi le Garde-mémoire (recueil annuel des notes de lecture des textes déposés à l’APA) et les Cahiers de l’APA, qui publient en particulier des relectures thématiques du fonds (récemment : les textes sur le Maghreb, les vies de cheminots, la guerre de 14-18 ; en préparation : les textes sur la maladie].
Comment la revue a-t-elle évolué ?
Elle a d’abord grandi, passant vite à 40, puis 60 pages et se stabilisant autour de 80 ; puis elle a mûri, abandonnant le stade artisanal du début, agrafé et photocopié, pour une vraie impression selon une maquette conçue par un graphiste ; timidement illustrée et mise en page sous Word jusqu’à récemment, elle s’est modernisée il y a trois ans grâce au logiciel Publisher manié par une nouvelle équipe de mise en page. Pour le contenu, nous avons changé l’ordre des parties, plaçant en fin de numéro les nouvelles de la vie associative pour mettre en valeur le dossier thématique. Chaque numéro s’ouvre sur une « page blanche » (carte blanche donnée à l’exposition d’une pratique originale) et un « événement » (livre ou film marquant) et enchaîne tout de suite sur le dossier. Nous avons le projet de développer sur Internet une Newsletter qui allégera encore la partie associative tout en rendant l’information, diffusée en temps réel, plus efficace.
Quels sont les thèmes des prochains numéros ?
Voici la liste : n° 68 (février 2015), Les maisons ; n° 69 (juin 2015), Généalogie et autobiographie ; n° 70 (octobre 2015), L’amitié ; n° 71 (février 2016), La nature (ce sera un numéro… écologique) ; n° 72 (juin 2016), L’atelier d’écriture. Certains de ces thèmes, sous une forme légèrement différente, ont déjà été traités dans des numéros antérieurs, au long des 22 ans qu’a maintenant la revue. Mais justement : nous vivons dans un monde où le changement s’accélère vertigineusement. A nous d’accompagner ce mouvement. Et à nous aussi de repérer, sous ce vertige, les permanences, ce qui ne change pas.
Philippe Lejeune publiera au printemps prochain Le Moi est-il haïssable? De l’écriture de soi au patrimoine autoiographique aux éditions Mauconduit créées et dirigées par Laurence Santantonios