Que nomme-t-on habiter ? La revue Sens dessous dresse un état des lieux de cette épineuse question, soulignant toute la différence qu’il existe entre habiter et occuper un lieu. Pourtant, comme l’explique d’abord Odette Barbero : « Habiter c’est se tenir dans un lieu, occuper un espace. »
Assumant une approche pluridisciplinaires, Sens dessous mêle aux approches sociologiques des compte rendus d’expériences plus subjectives qui permettent de restituer la densité d’une réalité humaine particulièrement complexe. Un parti pris clair qui aide le lecteur à se sentir plus proche d’une question compliquée et que favorise la grande diversité points de vue singuliers qui s’y rencontrent.
« Le plus beau jour de sa vie, il est resté au lit avec un peu mal quelque part. » La maladresse touchante de ce propos montre combien il importe de pouvoir se retrouver dans un endroit qui rassure, ce qu’on nomme habituellement « sa maison ». Comment dès lors appréhender ce besoin d’habiter s’agissant de réfugiés qui cherchent à s’adapter à une nouvelle culture pour se sentir à nouveau chez eux ?
Dans Roms à Paris : des exilés intra-muros, un entretien réalisé par Nadia Taïbi, le photographe Marc Melki propose une campagne citoyenne intitulée : « Et si c’était vous ? Pour que toutes les familles et leurs enfants puissent avoir un toit dans votre ville ». À travers son projet, il cherche à créer un rapport direct entre politiques et citoyens. Pour sensibiliser plus largement, il intègre des personnalités célèbres et les met en scène endormies dans des cabines téléphoniques, à l’image des familles de roms qui s’y abritent. Mais habiter ne signifie pas seulement investir un espace, il s’agit également d’intégrer une société. Dans Être rom et devenir citoyen, un entretien réalisé par Vincent Grégoire, la militante associative Liliana Hristache parle de son propre parcours, de son arrivée en France à sa nomination à la présidence de l’association « Rom Réussite ». Ce témoignage esquisse le portrait d’une femme engagée qui met à mal les clichés de sa communauté. Par-delà la recherche d’une habitation, se posent aussi les problèmes de scolarisation et d’apprentissage de la langue du pays d’accueil. Pour comprendre notre société contemporaine, il est nécessaire de porter un regard sur l’immigration avec un véritable recul historique. Dans Les héritiers de l’immigration, l’invisibilité sociale en question, Nadia Taïbi et Ahmed Boubeker élaborent une critique de l’emploi du terme « immigré » et déplorent la perte de son sens premier, ainsi que son utilisation galvaudée.
Sens dessous nous confronte, avec tact et profondeur, à des réalités sociales qui interrogent notre manière de considérer l’étranger, comme le sens de son accueil. Tout ce que concentre cette phrase boiteuse, pleine du fracas des jours anciens et de la joie d’un apaisement inespéré : « Le plus beau jour de sa vie, il est resté au lit avec un peu mal quelque part »
Lauriane Ballandras, Pierre-Marie Hascoët & Martin Lihoreau