par Anthony Dufraisse
2017, in La Revue des revues no 57
Avis de naissance
« Dis-moi, c’est quoi la poésie ? » On croirait entendre une de ces questions faussement enfantines dont le Petit Prince a le secret. Eh bien non, point de blondinet à la mèche rebelle ici, mais un Bébé enveloppé d’un lange noir. Nadine Agostini et François Bladier, un couple d’artistes, sont les heureux parents de ce nouveau-né drôlement précoce. Allez, démaillotons ce poupon qui, à la naissance, pèse 48 pages et fait 22 cm. Une quinzaine de marraines et de parrains se sont penchés sur la question formulée, comme qui dirait sur un berceau. Au-dessus du couffin on cause, on glose, et à chaque prise de parole la typo se fait différente.
Par exemple, le coup de crayon de Véronique Vassiliou tourne en rond, en large et en travers dans une série de faux pictogrammes qui disent tous la même chose : la poésie brouille toujours les pistes ; c’est « une anguille ». De l’anguille au « poète poisson », il n’y a pas loin. L’image est de Charles Pennequin qui répond, croit-on comprendre, par une sorte de vitalisme viscéral (« apprendre à respirer autrement ») et radical (« la poésie est l’endroit même de la révolte »). Chez Pierre Le Pillouër aussi il est question de cette vitale régénération des sens. Comme en écho à Pennequin, il veut voir dans la poésie « un exercice constant de lucidité » qui « nous redonne un peu d’air ». « Écrire fait exister un peu plus, un peu mieux », avance, de son côté, Patrick Dubost qui organise sa contribution comme une cascade d’hypothèses, de très cours pavés ruisselant les uns sur les autres. Dans un exercice de survol historique, Yann Mignot convoque Jakobson, Maïakovski, Leiris ou encore Khlebnikov pour se risquer à cette conclusion : la poésie est une maladie contagieuse. Sans doute veut-il dire par là qu’elle n’a de raison d’être que de circuler. Invité à se prononcer lui aussi, Jean-Pierre Bobillot retient avant tout la métamorphose comme principe actif de la poésie : « Poésie n’est plus ce qu’elle n’est pas encore qu’elle sera ». En répondant que « les arts poétiques font le pari de la morphe contre l’amorphe », Patrick Beurard-Valdoye se situe dans ce même ordre d’idée d’une poésie dont la plasticité vaut essence…
Bref, l’économie de moyens graphiques de cette revue annoncée comme annuelle n’empêche pas qu’il y ait, dans ce numéro 0, matière à babil utile. Au demeurant, notez que d’autres, notamment Julien Blaine ou Liliane Giraudon (dont le fac-similé est, hélas, difficilement lisible), prennent ici la parole. Cet exercice de
« poétologie » collective, pour détourner un mot de Michèle Métail, également au sommaire, est donc, vous l’aurez compris, plutôt stimulant. On attend maintenant le numéro 1, qui posera la question : « Tu performes ? ». Ou comment la parole s’incarne, se montre et se transforme.