Agenda de la pensée contemporaine

• Je crois, pour ma part, que si la pensée est moins visible aujourd’hui, en France, c’est aussi qu’elle travaille autrement. Après les grandes ruptures et reconfigurations qui, dans les décennies précédentes, ont bousculé nos cohérences, en même temps qu’elles forçaient l’attention par leurs effets de système, il me semble que la pensée s’appuie davantage aujourd’hui sur des savoirs particuliers, patiemment acquis, conjuguant ainsi l’exercice des compétences et le risque de l’esprit ; elle réactive, de ce fait, la notion de discipline, considère certains segments de plus près – aussi est-elle plus dispersée. Elle déborde aussi librement du champ de la philosophie et se féconde à l’intersection de la philosophie et du non-philosophique, qu’il soit celui de la science, de l’art, de l’anthropologie, de la psychanalyse, de l’économie, du politique, etc. Pensée plus diversifiée et, par conséquent, moins aisément repérable. C’est pourquoi il fallait un Agenda pour en suivre les développements successifs. Nous ne prétendons pas au panorama, ne nous arrogeant aucune position de survol ou de surplomb. Il n’est même pas question d’offrir un « paysage » de la pensée française – notion trop harmonieuse et paisible, désengagée et supposant quelque distance pour contempler. Ceux qui écrivent ici ne sont pas spectateurs, ils invitent plutôt à visiter un chantier, dont ils sont eux-mêmes ouvriers. Chantier : avec des structures en attente et d’autres a peine décoffrées. Avec de grandes formes vagues, qui restent derrière les bâches, et les échafaudages, ici et là, qui masquent encore des façades – non dévoilées. • François Jullien

Publié le 1 janvier 2007