Génération 1919 en revues

Trois jeunes écrivains témoignent sur la « génération 1919 », celle qui accède à l’âge adulte sans être broyée par la Grande guerre, mais à l’ombre de celle-ci. Un moment exceptionnel, largement oublié depuis, mais dont l’originalité a été souvent rappelée, jadis notamment par l’historien Michel Trebitsch [1], depuis par un projet de colloque transformé en numéro spécial de revue [2].

 

Il s’agit ici de trois auteurs, plutôt issus de « bons milieux » qui reviennent sur le temps de leurs études et l’immédiat après-guerre, deux anciens khâgneux d’Henri IV et élèves d’Alain, le troisième préparant de son côté les Chartes. Celui-ci est le premier à s’exprimer : André Chamson (1900-1983) écrit une étude parue en deux livraisons de la revue Europe (nos 70 et 71) en octobre et novembre 1928. Il est déjà un écrivain reconnu depuis le succès de Roux le Bandit (Grasset, 1925), vite intégré dans la mouvance de la gauche radicale et socialiste et collaborateur direct du nouveau président du parti radical, Édouard Daladier (1884-1970), espoir de son aile gauche qui apparaît comme susceptible de rénover le vieux parti, sa doctrine et son action. Chamson intervient ici en intellectuel politique, comme l’indiquent les éditeurs du volume, convaincu que 1919 marque le début d’un changement profond, ce qu’il appelle « la révolution de 1919 », une révolution de l’esprit, exigeante, mais bien éloignée des violences qui ont alors cours dans d’autres pays européens. Patience, fraternité, volonté sont censées la caractériser.

 

Dans La Nouvelle Revue Française (quatre numéros d’octobre 1928 à janvier 1929), son ami Jean Prévost (1901-1944) lui donne une réplique qui n’est pas contradictoire, en tout cas pas antagoniste. Il se montre « prêt à défendre violemment des idées modérées », revenant lui aussi sur son expérience personnelle : la fin de la guerre, la manifestation Jaurès après l’acquittement de son assassin, les activités des Étudiants socialistes et révolutionnaires et les relations heurtées entre générations. D’esprit militant, désormais un peu en marge du socialisme politique, il est toujours en quête de solutions politiques et personnelles. Ses articles sont repris avec d’autres dans Dix-huitième année que publie Gallimard en 1929 (réédité en 1993 et depuis).

 

Le point de vue de Pierre Bost (1901-1975) est plus décalé. Le futur romancier et scénariste publie « Fabrice à Waterloo » dans Notre temps. Cette revue est moins connue que les deux autres. Fondée en 1927, elle se place au départ dans la mouvance d’un radicalisme critique, inspiré par Caillaux et soutien de Daladier. Elle deviendra hebdomadaire et sera un temps un quotidien. Dirigée par Jean Luchaire (1901-1946), issu d’une famille d’universitaires illustres, elle se situe désormais dans le sillage de Briand, ministre des Affaires étrangères de 1925 à 1932, qui la subventionne. Dans quatre livraisons de la revue hebdomadaire, Pierre Bost joue davantage du détachement, de l’éloignement un peu moqueur des engagement militants même s’il a participé un temps à La Démocratie nouvelle de Lysis [Édouard Letailleur 1869-1927], un journaliste à succès, critique de l’oligarchie financière, qui évolue aux confins du socialisme et du nationalisme. Pour l’heure, il s’agit surtout en principe de promouvoir une politique fondée sur des compétences. Il représente ainsi le point de vue original de ceux qui revendiquent « d’avoir dormi » pendant des événements rétrospectivement estimés importants.

 

Trois points de vue donc différents et complémentaires, oscillants entre politique et littérature, plutôt stendhaliens dans leurs tonalités, que confrontent intelligemment dans une édition critique, mais qui reste légère, les deux éditeurs de l’ensemble, Emmanuel Bluteau [3] et François Ouellet.

 

Gilles Candar

 

Pierre Bost, André Chamson, Jean Prévost, Génération 1919. Dépositions d’écrivains en devenir, textes réunis et présentés par Emmanuel Bluteau et François Ouellet, Le Raincy, La Thébaïde, « Au marbre », 2024, 154 p.

[1] Michel Trebitsch, « Jean-Richard Bloch ou l’optimisme du pessimisme », présentation de Jean-Richard Bloch, Destin du siècle, Paris, PUF, « Quadrige », 1996 [1931], 326 p.

[2] Emmanuel Jousse (dir.), Les possibles des mondes ouvriers et socialistes, Cahiers Jaurès n° 239-240, janvier-juin 2021, 200 p.

[3] Emmanuel Bluteau dirige l’Association des Amis de Jean Prévost et la revue Aujourd’hui Jean Prévost.