Dans la riche histoire des revues, les années 1977-1978 furent particulièrement fécondes : création de Libre (nous y reviendrons dans les mois qui viennent), de Pouvoirs, de Po&sie (dont nous avons évoqué ici même le numéro anniversaire [1]), À Suivre, L’Histoire et, donc, Commentaire. La 161e livraison de la revue libérale fondée par Raymond Aron et dirigée par Jean-Claude Casanova célèbre ses quarante ans.
Le 28 juin 1977, à Paris, s’étaient retrouvés les habitués du séminaire de Raymond Aron ainsi que des anciens collaborateurs des revues Preuves, Le Contrat social et Contrepoint. La réunion fondatrice rassembla, autour de l’auteur de L’Opium des intellectuels et de Jean-Claude Casanova, Jean Baechler, Alain Besançon, Allan Bloom, François Bourricaud, Jean-Claude Casanova, Marc Fumaroli, Arthur Kriegel, Pierre Manent, Kostas Papaïoannou et Antoine Schnapper. Le premier numéro parut en mars 1978. Commentaire accueillit de très nombreux auteurs comme François Fejtö, Pierre Hassner, Michel Heller, Eugène Ionesco, Simon Leys, Jean-François Revel [2], Dominique Schnapper, Boris Souvarine ou Manès Sperber. En quarante ans d’existence, elle rassembla une large communauté d’auteurs et de lecteurs, s’imposant comme l’une des grandes revues intellectuelles françaises de référence.
Pour ses trente ans, la revue avait réalisé un DVD de sa collection complète. Elle a depuis fait l’objet d’une riche étude historique menée par Gwendal Châton [3]. Les archives ont été confiées à l’IMEC, en Normandie, où elles sont en cours de traitement. Passant le cap des quarante années d’existence, la revue s’est mise à l’heure du numérique en lançant un nouveau site internet et une newsletter hebdomadaire particulièrement riche de contenu (https://www.commentaire.fr).
Pour cet anniversaire, la revue offre un copieux numéro axé autour de quatre thèmes-clefs : politique, incertitudes, héritage et Est/Ouest. « Vers où va l’histoire ? Que reste-t-il de notre héritage ? Quels regards porter sur la France, sur l’Europe, sur ses voisins à l’Ouest et à l’Est ? » À ces questions, Commentaire propose de répondre en traçant quelques pistes et en réunissant ses « amis les plus anciens » ainsi que les plus jeunes.
Parmi les nombreuses contributions de ce numéro, signalons un petit événement : la parution d’un chapitre du troisième tome, inédit en français, de Main Currents of Marxism [4] de l’immense philosophe polonais Leszek Kołakowski (1927-2009). La publication de ce texte consacré à l’École de Francfort permettra de rappeler l’importance de cette œuvre encore trop ignorée du public français – mais bien connue des lecteurs de Commentaire. Le public français avait découvert ce philosophe dans Les Temps modernes, il appartint au comité de patronage de Commentaire dès ses débuts. Il y publia de nombreux articles dont le fameux « Comment être “socialiste-conservateur-libéral” » récemment publié en volume [5]. Cette question serait-elle toujours d’actualité ? Sans commentaire.
François Bordes
[1]. https://www.entrevues.org/aufildeslivraisons/posie-a-quarante-ans/
[2]. Signalons au sujet de Jean-François Revel le récent article de Pascal Engel, « Revel nous manque », sur le site d’En attendant Nadeau : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/03/27/revel-nous-manque/
[3]. Gwendal Châton, La liberté retrouvée : une histoire du libéralisme politique en France à travers les revues aroniennes Contrepoint et Commentaire, Thèse de doctorat en Science politique, Rennes 1, 2006.
[4]. Les deux premiers tomes ont été traduits chez Fayard en 1987 sous le titre Histoire du marxisme. Comment expliquer que ce troisième tome particulièrement stimulant n’ait pas encore été traduit ?
[5] Leszek Kołakowski, « Comment être “socialiste-conservateur-libéral”. Credo », Commentaire, n° 4, hiver 1978, republié en volume avec une préface d’Alain Besançon, Paris, Les Belles-Lettres, 2017.