RIP bis

 

Difficile de faire plus sobre, plus stricte à l’œil et, pour reprendre l’adjectif du sous-titre, plus « clinique » que la maquette de cette nouvelle revue. Le terme maquette d’ailleurs ne convient pas, il faudrait plutôt employer le mot « dispositif » de lecture, en plus encore de « lectures ». En effet, sous le rabat de la première de couverture, elle-même quasiment entièrement blanche et vierge hormis d’un titre très discret, apparaissent en trois temps une série d’intentions multiples, jouant de l’anaphore du célèbre « Que faire ? » (034-1bis) puis un sommaire alphabétique décliné en une liste oblique de noms d’auteurs, pour chacun d’eux désigné sous un double codage, texte(s) et page(s), identités qui n’apparaissent pas dans le corps du numéro. La raison de ce procédé tient sûrement dans la volonté, non pas de mêler dans un improbable récit collectif les différentes contributions, mais de donner à voir et ressentir le commun, le parallèle et le différent(d) de ces parcours réflexifs qui se conjuguent d’autant mieux que les noms des auteurs sont congédiés. De la sorte, ce qui s’inscrit habituellement dans la mémoire d’un lecteur au terme de sa lecture d’une revue est ici anticipé par ce dispositif qui impose une lisibilité nouvelle, bien que parfois exigeante, tant nous sommes habitués à spontanément attribuer un nom à un texte dès ses premiers mots, le plus souvent avant même d’en entamer la lecture. Ici, les textes entrent en dialogue(s), en une collision productrice de sens inattendus, renforcée par une mise en page novatrice qui joue de l’espace sans excès en calibrant autrement les colonnes et en osant croiser horizontalité et verticalité du paragraphe. La qualité du travail de l’Ecole Estienne (DSAA Design typographique, 1re année) rencontre la volonté éditoriale d’Antoine Dufeu et de Frank Smith, les deux concepteurs de RIP. Par ailleurs, on notera que chaque numéro sera disponible six mois plus tard sous une version numérique « répliquée » .2., réplique fondée sur « une approche de relecture, entendue ici tel un retour sur l’avant ».

 

Vingt-trois participants, de générations et d’esthétiques différentes, travaillent ainsi les notions de vérité (216-219), de translation (208-211), de restes (200-205), questionnent les enjeux du langage (124-131), de la politique, de la poésie, interrogent l’usage de l’intercession, du flux, de l’expérience ou de l’expansion (066-071), du datajournalisme (034-041), de la cartographie, du corps (018-021) et de la parenthèse même. « Pour toucher à une forme “critique”, pour affronter le dehors, il faut imaginer une torsion de nos facultés, une ivresse de tous nos sens pour parler avec Rimbaud. Limer le mur avec patience dirait encore Van Gogh. Et, sur cette limite, la clinique est presque congénitalement liée au geste critique » (099-125).

 

À remarquer enfin quelques dessins et photographies traitées a minima, dans l’espace d’une revue ou le texte imprimé l’emporte à peine sur le blanc qui le porte et le cadre, une revue au nom sigle énigmatique que l’on peut lire du latin à l’anglais.

 

Yves Boudier